Journée mondiale de la liberté de la presse

LES PREDATEURS DE LA LIBERTE DE LA PRESSE 2010 EN AFRIQUE


Derrière les violations de la liberté de la presse se cachent des responsables et des commanditaires. Quʼils soient président, ministre, chef dʼétat-major, chef religieux ou leader dʼun groupe armé, ces prédateurs de la liberté de la presse ont le pouvoir de censurer, dʼemprisonner, dʼenlever, de torturer et, dans les pires des cas, dʼassassiner des journalistes. Pour mieux les dénoncer, Reporters sans frontières dresse leurs portraits et rend compte de leurs pratiques.



Erythrée
1 - Issaias Afeworki
 Président de la République
La République dʼErythrée a la particularité d'être la plus jeune d'Afrique, mais aussi d'avoir à sa tête le dictateur le plus impitoyable du continent. L'ancien chef rebelle, hier héros de la libération, ne cache pas son penchant pour le totalitarisme. Pour lui, la souveraineté du pays a un prix. 
Les libertés sont officiellement "suspendues" depuis 2001, après que des voix se sont élevées au sein du parti unique pour réclamer plus de démocratie. Toute velléité de contestation est une atteinte à la "sécurité nationale". 
La presse privée nʼexiste plus. Ne subsistent que les médias dʼEtat, dont la ligne éditoriale est digne de lʼépoque soviétique. Ce territoire bordé par la mer Rouge, dirigé dʼune main de fer par une petite clique ultranationaliste rassemblée autour du chef de lʼEtat, est devenu, en quelques années, une véritable prison à ciel ouvert, la plus grande d'Afrique pour les journalistes. Une trentaine d'entre eux environ sont enfermés dans lʼun des 314 centres de détention que compte le pays. Quatre nʼont pas survécu à des conditions de détention dʼune cruauté inouïe. D'autres ont littéralement disparu. Mais lorsque Issaias Afeworki est interrogé sur le sort des journalistes emprisonnés, il répond, comme en mai 2008 sur la chaîne Al-Jazira : "Il n'y en a jamais eu. Il n'y en a pas. Vous êtes mal informés."

Gambie
2 -Yahya Jammeh
Président de la République
Guérisseur, médecin ayant percé le mystère du sida, de lʼobésité et de lʼérection, Yahya Jammeh a tout du dictateur délirant, imprévisible et violent... Il a promis de couper la tête aux homosexuels pour nettoyer la société gambienne. Il se dit prêt à tuer quiconque cherche à déstabiliser le pays, en premier lieu les défenseurs des droits de lʼhomme, ces empêcheurs de tourner en rond : « Si vous êtes affiliés à des mouvements de défense des droits de lʼhomme, soyez assurés que votre sécurité nʼest pas garantie (…) Nous sommes prêts à tuer les saboteurs. » A bon entendeur… Certains pensent que le dictateur sʼenfonce lentement dans la paranoïa, comme semble le montrer lʼarrestation récente dʼune dizaine de ses proches pour tentative de putsch. Lʼaffaire non résolue Deyda Hydara, ancien correspondant de lʼAFP et directeur du trihebdomadaire The Point, abattu dans la rue en 2004, continue dʼalimenter le face à face entre la presse indépendante et le régime. LʼUnion de la presse gambienne (GPU) a eu le courage dʼadresser au chef de lʼEtat en 2009 une lettre lui demandant de reconnaître lʼimplication du gouvernement dans cet assassinat. Réponse : six
professionnels condamnés à deux ans de prison pour « diffamation » et « sédition » ; et une grâce après un mois de détention. Car Yahya Jammed sait faire preuve de mansuétude. La plupart du temps, toutefois, pas besoin de chef dʼinculpation pour enfermer les journalistes.
Chief Ebrima Manneh, journaliste au Daily Observer, arrêté en 2006 sans chef dʼinculpation, disparu depuis, serait même mort en prison en 2008.

Guinée équatoriale
3 - Teodoro Obiang Nguema
Président de la République
Les années passent, mais rien ne change dans le "Koweït de lʼAfrique", royaume immobile dʼun président que la radio nationale présente comme le "Dieu de la Guinée équatoriale". Fin 2009, Teodoro Obiang Nguema a été réélu chef de l'Etat avec pas moins de 96,7% des voix, au terme d'une élection présidentielle que plusieurs médias internationaux, comme le quotidien espagnol El Pais, ont été empêchés de couvrir. Teodoro Obiang Nguema garde un contrôle absolu sur ce petit pays pétrolifère du golfe de Guinée. La presse privée est en effet limitée à quelques titres. Le pays ne compte ni syndicat ni association de défense des journalistes. Enfin, la mainmise sur lʼéconomie du pays par le chef de lʼEtat et sa famille est accompagnée par un culte de la personnalité écrasant. La presse étrangère ne compte qu'un seul et unique correspondant, étroitement surveillé. Malgré cela, les autorités continuent dʼaffirmer que lʼabsence de pluralisme sʼexplique par la pauvreté et que les scores importants que réalise le chef de l'Etat lors des élections "sont le résultat de l'acceptation desa politique".

Nigeria
4 - Ogbonna Onovo
Inspecteur général de la police nationale
Près dʼune vingtaine dʼexactions contre les journalistes pendant le premier trimestre en 2010 ; 58 en 2009. Beau record. Toutes ces violences ne sont pas le fait de la police, certes, mais une grande partie oui. Le Nigeria est un des pays les plus violents contre les journalistes et la police nationale, dirigée par Ogbonna Onovo, a sa part de responsabilité.
Au Nigeria, les policiers jouissent dʼune impunité totale, même quand les exactions sont très bien documentées. Les attaques peuvent survenir pendant des opérations policières quand les agents des forces de lʼordre, sʼagaçant des témoins, sʼen prennent aux journalistes venus faire des reportages. Menaces verbales, passages à tabac, perquisitions vexatoires, confiscations de matériel, etc. Pas de ligne de conduite politique, pas dʼinstrumentalisation par un pouvoir, non, juste une police bête et méchante qui fait son travail avec beaucoup de zèle. Derrière ces faits, un responsable : Ogbonna Onovo, inspecteur général de la police
nationale, au faîte dʼune belle carrière. Distinctions, honneurs, officier de lʼOrdre du Niger, en lʼoccurrence pour ses « incroyables accomplissements». Il peut maintenant se prévaloir dʼune récompense de plus, celle de « prédateur de la presse » par Reporters sans frontières.

Rwanda
5 - Paul Kagame
Président de la République
Une silhouette tout en longueur, des petites lunettes dʼintellectuel, des costumes soignés. Le physique lisse de Paul Kagame évoque plus lʼhomme politique moderne que lʼancien chef de guerre quʼil a été et son rôle trouble dans lʼhistoire de son pays. Président depuis 2000, le processus de réconciliation enclenché par lʼEtat suite au génocide de 1994 lui sert largement à asseoir son pouvoir et à neutraliser lʼopposition. Kagame ne tolère aucune question embarrassante lors de ses conférences de presse, dénigre régulièrement les journalistes et qualifie les médias critiques de "Radio Mille Collines". Chaque année, plusieurs journalistes rwandais choisissent lʼexil, jugeant le climat dans leur pays irrespirable. Le président Kagame nʼen a cure : pour lui, ces journalistes sont des "mercenaires" et des "clochards".
La BBC a été interdite de diffusion lʼannée dernière suite à une émission revenant sur le génocide et sʼécartant de la ligne officielle. Les journaux Umuseso, bête noire du régime, et Umuvugizi sont régulièrement inquiétés pour leur ligne éditoriale et leurs responsables poursuivis en justice. Les deux publications ont été suspendues pour six mois lors de lʼélection présidentielle de 2010. Diffamation, immixtion dans la vie privée, offense à la
personne du président de la République, ce genre de mobiles est utilisé à tour de bras par le ministère de lʼInformation ou le Haut Conseil des médias, son antenne de régulation fort peu indépendante. Cerise sur le gâteau, le capital de départ exorbitant désormais exigé pour la création dʼun média (41000 euros, par exemple, pour le lancement dʼun journal écrit), moyen efficace de freiner la diversification du marché de la presse.



Somalie
6 - Milices islamistes armées
Al-Shabaab, Hizb-Al-Islam
Epuisée par vingt ans de guerre, la Somalie ne connaît décidément aucun répit. Les insurgés islamistes, dans le passé unis contre les troupes éthiopiennes et maintenant perdus dans les rivalités et les contradictions, nʼont fait quʼajouter au chaos en menant, depuis 2009, une guerre de harcèlement contre le fragile gouvernement de transition. Porteurs dʼun islam rigoriste, ils interdisent le cinéma, les jeux vidéo et la musique sur les stations de radio.
Parmi eux, Al-Shabaab (« la jeunesse ») émerge comme le groupe le plus important et le plus structuré. Il mène une campagne de terreur et dʼassassinats ciblés visant les membres les plus éminents de la société civile, coupables de servir les intérêts des "Croisés", les Occidentaux. Des dizaines dʼenseignants, dʼuniversitaires, dʼhommes politiques ont été tués.
Des journalistes également, qui sont par nature des ennemis. En 2009, neuf dʼentre eux ont été victimes du conflit ou directement pris pour cibles par les milices, toutes factions confondues. En lʼespace de quelques mois, Radio Shabelle a payé un lourd tribut perdant son directeur, Mukhtar Mohamed Hirabe, et trois journalistes. Dʼautres membres de la rédaction ont préféré fuir le pays. Al-Shabaab contrôle une grande partie du territoire, possède ses propres prisons, procède à des arrestations et exécute des peines. Il impose
des directives aux journalistes pour couvrir lʼactualité. En mai 2008, le groupe a tenté dʼassassiner Bisharo Mohammed Waeys, dernière femme à exercer publiquement le métier de journaliste au Puntland, indépendante et ne portant pas le voile. Tout un symbole.

Swaziland
7 - Mswati III
Roi du Swaziland
40% de la population atteinte du sida, un taux de pauvreté qui augmente en flèche, aucune économie viable, des investisseurs étrangers qui ont jeté lʼéponge. Le Swaziland connaît un véritable processus dʼautodestruction. Il y a derrière cette déroute un responsable : le roi Mswati III. Pas de gestion, pas de vision, ce monarque absolu use et abuse de ses droits régaliens. Quʼaucune tête ne dépasse ! les partis politiques sont interdits et à quoi serviraient-ils dans un pays qui nʼa jamais connu dʼélections démocratiques ! La presse publique diffuse uniquement des informations contrôlées et validées par le ministère de
lʼInformation. Les journaux indépendants ont dʼénormes difficultés à accéder à lʼinformation officielle. Lʼautocensure est généralisée, la critique inimaginable. Les autorités rappellent régulièrement à la presse la conduite à tenir, comme en novembre 2008, lorsque le ministre de la Justice a menacé les journalistes qui critiqueraient le gouvernement dʼêtre immédiatement "accusés de soutenir le terrorisme et arrêtés". En janvier 2009, après une série dʼarticles iconoclastes, un journaliste du Times of Swaziland, seul journal privé du pays,
a été contraint de présenter des excuses publiques au roi.

Zimbabwe
8 - Robert Mugabe
Président de la République
Le chef de l'Etat zimbabwéen a certes déclaré, début mars 2010, que le Zimbabwe Media Council, organisme chargé de délivrer aux journaux leurs licences, devait ouvrir le secteur des médias. Mais ses paroles ne trompent pas grand monde. Dans les faits, Robert Mugabe freine des quatre fers, empêche le gouvernement d'union nationale de fonctionner convenablement, veille à ce que la presse indépendante ne puisse s'exprimer librement, et assure, avec son entourage, un contrôle strict sur la presse d'Etat. Suite aux difficultés électorales rencontrées par son gouvernement en 2008, Robert Mugabe a décidé de donner
un nouveau tour de vis. Des rédacteurs en chef ont été placés sous surveillance électronique afin de mesurer leur fidélité au parti, et des militants de l'opposition ont été enlevés et jugés, au cours de procès grotesques, pour "complot terroriste visant à renverser le président Robert Mugabe". Le chef de l'Etat, pourtant salué comme un "libérateur" à sa prise de pouvoir dans les années 1980, assume pleinement les arrestations arbitraires et le harcèlement dont sont victimes la plupart des professionnels de l'information. En 2002, il a été l'artisan de la loi sur "la protection de la vie privée et l'accès à l'information" (AIPPA), laquelle avait pour unique but de venir à bout de la presse indépendante, notamment The Daily News, le quotidien le plus lu du pays à l'époque. Si aujourd'hui le peuple zimbabwéen est privé de quotidiens et de radios indépendants, c'est à son Président qu'il le doit.

Libye
9 - Mouammar Kadhafi
Chef de lʼEtat et Guide de la Révolution
Depuis lʼavènement de la révolution verte en 1969, Mouammar Kadhafi sʼest écarté de lʼidéologie socialiste originelle. La fin de lʼisolement diplomatique du pays a eu des conséquences significatives sur lʼéconomie libyenne, sans pour autant avoir dʼeffet réel sur la liberté de la presse. Les journalistes ne bénéficient en effet que très lentement de cette décrispation du régime. Dépourvus de toute marge de manoeuvre, ils servent avant tout la machine de propagande du chef de lʼEtat. Le culte de la personnalité est omniprésent sur les murs du pays, comme dans les médias officiels. Si pour la première fois depuis lʼarrivée au pouvoir du colonel Mouammar Kadhafi, des médias non gouvernementaux avaient été autorisés en 2007, ils restaient contrôlés par la société Al-Ghad de Seif al-Islam Kadhafi, un des trois fils de Mouammar Kadhafi, avant dʼêtre soit nationalisés, soit interdits de publication entre juin 2009 et janvier 2010. Le pluralisme de lʼinformation reste donc toujours un mirage, malgré lʼautorisation accordée, en février 2009, à quatre-vingt-dix journaux et publications arabes et étrangers après 25 ans dʼinterdiction. Depuis janvier 2010, une campagne de censure dʼInternet vise les sites dʼopposition. Par ailleurs, les médias étrangers sont placés sous surveillance et leurs représentants obtiennent difficilement des visas.

Tunisie
10 - Zine el-Abidine Ben Ali
Président de la République
Depuis son arrivée au pouvoir en 1987, Zine el-Abidine Ben Ali contrôle le pays et les médias dʼune main de fer. Sa réélection en octobre 2009 pour un cinquième mandat de cinq ans a conduit à un rétrécissement du champ des libertés.
Au début de son quatrième mandat en 2004, le président Ben Ali avait pourtant déclaré vouloir poursuivre son action "en vue dʼencourager le pluralisme dans le paysage médiatique, (...) en élargissant les espaces de dialogue, en impulsant lʼinitiative privée dans le secteur de lʼinformation, et en améliorant les conditions de travail et la situation des journalistes".
Mais sous la "douce dictature" de Ben Ali, les journalistes indépendants et les défenseurs des droits de lʼhomme sont soumis à un véritable harcèlement administratif quotidien, à des violences policières et à une surveillance quasi permanente des services de renseignements. Le 24 octobre 2009, à la veille de sa réélection, Zine el-Abidine Ben Ali a dʼailleurs averti ses détracteurs : "La loi sera appliquée contre quiconque émettra des accusations ou des doutes concernant l'intégrité de l'opération électorale, sans fournir de preuves concrètes". Les hommes de main du régime nʼont pas tardé à mettre ces menaces à exécution. Au moins dix journalistes indépendants ont été victimes de représailles sans précédent. Le pouvoir nʼhésite pas à monter des affaires pour emprisonner ceux qui le gênent. Le contrôle dʼInternet sʼest considérablement renforcé. En outre, au cours de leurs déplacements professionnels en Tunisie, les journalistes étrangers sont constamment accompagnés dʼun fonctionnaire de lʼAgence tunisienne de communication extérieure. Le contrôle de lʼinformation prend une forme quasi obsessionnelle dans ce régime autoritaire.
Toutefois, le président tunisien, allié des Occidentaux dans leur lutte contre le terrorisme, bénéficie dʼune grande mansuétude de la part des organismes internationaux.

Source: Reporters sans frontière, (RSF)

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